LA PROCEDURE PENALE CIVILE
Octobre 2013 – Décembre 2016
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21.10.2013 : Dépôt d’une plainte pénale pour homicide par négligence auprès du Ministère public du canton de Vaud contre les deux médecins recruteurs.
12.12.2013 : Mise sous séquestre, par le Procureur vaudois en charge de l’affaire, du dossier médical de Nils.
06.01.2014 : Entretien avec le Médecin en chef de l’Armée, à son initiative, à l’Etude et en présence de notre avocat. Il est en possession d’une copie du dossier médical militaire de Nils, dont de nombreuses pièces n’avaient jamais été portées à notre connaissance.
- Il nous explique que l’électrocardiographe de marque Schiller utilisé lors du recrutement est le même que ceux utilisés par les médecins et les hôpitaux, qu’il est paramétré par le fabriquant et que les paramétrages ne peuvent être modifiés par les usagers.
- L’électrocardiographe est paramétré pour diagnostiquer automatiquement l’existence d’un syndrome de QT long à partir d’un intervalle de 470ms.
- Dans le cas de Nils, la machine a diagnostiqué un QT long et fait apparaître la mention « Verlängerung » (prolongation). Le Médecin en chef nous montre un « print screen »de ce diagnostic en précisant que cette information n’est pas imprimée avec l’ECG, mais apparaît à l’écran pendant l’examen pour informer le médecin.
09.01.2014 : Courrier de Me DINI au Procureur vaudois en charge de l’affaire. Il y fait mention de notre entrevue avec le Médecin en chef de l’armée et des informations qu’il nous a communiquées. Tout en relevant les contradictions avec les conclusions du Juge d’Instruction militaire, il demande que l’Armée produise, une fois pour toute, le dossier médical complet de notre fils, notamment les données de l’ECG enregistrées lors du recrutement.
30.01.2014 : Auditions par le Procureur vaudois de mon épouse et moi-même, en qualité de plaignants. Nous confirmons notre plainte. Le magistrat nous fait bien remarquer que les poursuites judiciaires engagées contre des médecins n’aboutissent pratiquement jamais.
14.05.2014 : Audition par le Procureur vaudois du médecin-chef du centre de recrutement de Lausanne, le Dr. X. Médecin généraliste, avec une spécialisation en gériatrie, il a commencé à travailler pour le centre de recrutement de Lausanne en 2006, avant d’en devenir le médecin-adjoint puis le médecin-chef en 2010.
- Il explique qu’en 2011, le recrutement se déroulant sur deux jours débutait par la visite sanitaire d’entrée qui durait environ trois minutes par conscrit et qui permettait de savoir s’il y avait un problème pour passer la nuit, un problème psy, une consommation de stupéfiants, un traitement médical, un casier judiciaire. Au terme de cette visite sanitaire d’entrée, 10 à 15 recrues (parfois jusqu’à 30) parmi les 150 présentes étaient immédiatement renvoyées.
- Lors des cycles de recrutement, les médecins reçoivent également des recrues qui ont déjà participé aux journées de recrutement mais qui doivent se représenter avec un dossier médical pour une nouvelle appréciation de leur aptitude au service.
- Au total, lui est ses collègues reçoivent environ 300 recrues par semaine et entre 10’000 et 11’000 par année.
Notons que lors de son audition, le Dr. X., lorsqu’il énumérait les chiffres, ne parlait ni de recrues, ni de conscrits, ni de jeunes, mais de « produits ». Ainsi, chaque semaine, il recevait avec ses collègues 300 « produits », chaque année entre 10’000 et 11’000 « produits », etc. Ce n’est que lorsque le Procureur lui a finalement demandé ce qu’il entendait par « produit » qu’il a précisé « recrue ». Cela n’a malheureusement pas été protocolé dans le procès-verbal.
- Pour les recrues n’ayant pas été renvoyées à la visite sanitaire d’entrée, un examen clinique individuel est effectué. Le médecin militaire écoute le cœur, les poumons, examine le système orthopédique (dos, articulations). Par ailleurs, un examen de la vue, de l’audition ainsi qu’un électrocardiogramme sont pratiqués par des soldats avant d’être examinés par le médecin. Au terme de ces examens médicaux, tous les médecins recruteurs se réunissent afin de discuter de chaque cas (réunion appelée casuistique). L’affectation de la recrue n’est discutée que le second jour du recrutement. A ce moment, lors de la Commission de visite sanitaire de recrutement (CVS ou CVSR), il (le Dr. X.) reprend les examens, les critères médicaux et le sport et décide de l’aptitude ou de l’inaptitude au service militaire.
- Il n’a pas de souvenir précis du cas de Nils. Evidemment, ils en ont parlé après son décès. Il ne se souvient pas comment l’interprétation s’est faite, ni quelles questions précises ont été posées à ce moment-là. Un ECG ne se lit pas seulement sur un QT long, il y a de multiples paramètres (axe cardiaque, fréquence, rythme). Après on entre dans toutes les particularités de tous les tracés et il faut regarder chaque tracé l’un après l’autre, notamment si c’est en conformité avec les recommandations en vigueur, s’il n’y a pas de cas dans la famille, de prise de médicaments, si ce n’est pas quelque chose de déjà connu, s’il y a eu des syncopes chez la personne ou dans sa famille.
- Il se souvient que le deuxième jour du recrutement, il a été interrompu pendant une consultation par le Dr. Y. qui lui a présenté un « bout » de l’ECG de Nils. Il ne se rappelle pas avoir vu Nils lui-même. Cet entretien faisait suite à une question particulière, mais il ne se souvient plus laquelle.
- Sur le document où il est inscrit : « ECG d/m Dr. X. : Ok, laisser passer », il dit ne pas penser s’être exprimé en ces termes, que c’est son collègue qui a écrit cela.
- Par rapport au QTc (470 ms) de Nils, il dit qu’en règle générale, les médecins militaires déclaraient inaptes au service les recrues avec un QTc supérieur à 500ms. C’était la seule consigne qu’ils avaient à l’époque. A 470ms, ils posaient des questions assez précises, à savoir si la recrue prenait des médicaments, s’il y avait déjà des cas de QT long dans sa famille, si elle avait déjà été victime de syncope, etc.
- Il savait qu’il y allait avoir de nouvelles recommandations, mais il en ignorait le contenu. Il n’a pas participé à la procédure de consultation de ces nouvelles recommandations et, à son souvenir, aucun cours y relatif, n’avait été donné dans le cadre militaire à cette époque.
- A titre personnel, il n’a pas suivi de cours privés pour les ECG et la problématique du QT. L’armée ne formait pas les médecins recruteurs à l’interprétation des ECG au moment de leur entrée en fonction.
- Questionné sur la raison pour laquelle le Dr. Y. lui a soumis l’ECG de Nils (les valeurs étant pour lui normales), il répond « il faudra lui demander ». Il précise qu’il n’est ni cardiologue, ni rythmologue et qu’un QTc nécessite une anamnèse poussée. Selon lui, lorsque le Dr. Y. lui a montré l’ECG, l’anamnèse n’avait pas encore été faite.
- Il dit qu’en 2011, il ignorait quelle était la mesure QTc paramétrée par l’électrocardiographe et en quel terme l’appareil de mesure signalait le dépassement de la mesure paramétrée.
- Il ne peut dire quand exactement il a reçu les nouvelles recommandations du 1er mars 2011, mais que cela a pu arriver avec un mois de retard. Dans les deux semaines qui ont suivi, il en a pris connaissance, notamment la valeur limite du QTc rabaissée de 500ms à 450ms.
- A la question de savoir pour quelle raison il n’a pas ressorti le dossier de Nils, il répond que ce n’est pas réalisable, qu’à la fin de chaque recrutement tout part à Berne, qu’il ne peut pas récupérer les dossiers et qu’il n’en jamais fait la demande. De plus, il ne s’est pas souvenu du cas de Nils au moment de prendre connaissance des nouvelles directives.
- Il ne se souvient pas avoir demandé au Dr. Y. quel était le diagnostic automatique de l’électrocardiographe, ni lui avoir demandé d’informer Nils de sa situation, ni de lui recommander de conseiller Nils d’aller voir un spécialiste.
14.05.2014 : Audition par le Procureur vaudois du second médecin recruteur, le Dr. Y. Chirurgien de formation, il a occupé de nombreux postes en Suisse et à l’étranger, avant d’être engagé, le 3 janvier 2011, au centre de recrutement de Lausanne.
- Il reconnaît avoir constaté et compris que l’électrocardiographe utilisé lors de l’ECG de Nils indiquait expressément une anomalie « QT Verlängerung », la mesure du QTc de 470ms étant signalée comme excédant la limite préprogrammée sur l’appareil de mesure.
- Bien que n’étant pas cardiologue, il lui a semblé que les segments ST, en particulier, n’étaient pas normaux. Il ne se souvient pas de ce qu’il a pensé des segments QT. Il s’est ensuite rendu auprès de son responsable, le Dr. X., lui déclarant que l’ECG de Nils ne lui plaisait pas.
- Après avoir consulté l’ECG, le Dr. X. lui a demandé si Nils avait des problèmes cardiaques et s’il y en avait dans sa famille. Comme il avait déjà questionné notre fils à ce sujet, il a répondu par la négative. Le Dr. X. lui a alors dit « Laisser passer », mots qu’ils a reproduits à l’identique dans la rubrique CVS et qui signifiaient pour lui : 1° aucun examen complémentaire – 2° pas de consultation spécialisée – 3° apte au service.
- Il précise que dans son commentaire, « ECG d/m Dr. X… », le « d/m » signifie « diskutiert mit » soit, en français, « discuté avec ».
- N’étant en poste que depuis cinq semaines, il s’est fié à l’appréciation de son supérieur, au vu de l’expérience de ce dernier. Par ailleurs, avant d’examiner Nils, il avait été informé oralement par le Dr. X. et un autre collègue que la limite pour l’armée se situait à 500ms, raison pour laquelle il a noté dans la rubrique CVS « dans les limites de la norme », ce malgré le signalement de la machine.
- Il précise qu’avant ce cas, on ne lui a jamais parlé de l’électrocardiographe Schiller, on ne lui a jamais dit qu’il fallait absolument suivre les indications qu’il donne et on ne lui a pas dit à quelle valeur la machine était paramétrée. Lors du recrutement, il a constaté qu’elle signalait un QT long à partir de 470ms, qu’à ce jour (date de l’audition), elle le fait à 450ms et que dans ce cas, il dirige directement le conscrit vers un spécialiste, sans s’en référer à son chef.
- Questionné sur le fait de n’avoir pas parlé à Nils du problème constaté et, par conséquent, de ne lui avoir pas recommandé d’aller voir un spécialiste, il répond que cela ne se fait pas, l’avis de son chef primant sur l’indication de l’électrocardiographe. Pour cette même raison, il n’a pas mentionné le problème cardiaque sur la feuille de recrutement destinée à l’officier recruteur, dans le but que Nils ne soit pas affecté à une activité trop physique.
- Il affirme que depuis la date de son engagement au jour du recrutement de Nils, il n’a jamais soumis un autre ECG à son supérieur ou à son adjoint et que cela était donc rarissime.
- Après avoir pris connaissance des nouvelles directives du 1er mars 2011, il n’a pas pensé à Nils, car pour lui l’affaire était réglée, son chef lui ayant dit que c’était bon.
- A la question de notre avocat de savoir quelle attitude il aurait eu comme médecin au civil dans une telle situation, il affirme qu’il aurait pris directement son téléphone pour appeler un cardiologue, lui aurait faxé l’ECG et aurait demandé une consultation pour son patient.
Au terme de son audition, le Dr. Y. nous présente ses condoléances et reconnaît que, rétrospectivement, ils ont fait faux. Il aurait dû insister, mais, selon lui, cela n’est pas facile entre les subalternes et les supérieurs. Il a été choqué lorsqu’il a vu que c’était lui-même qui avait recruté notre fils et quelque peu soulagé lorsqu’il a constaté qu’il avait, malgré tout, demandé l’avis de son chef. Il nous demande pardon.
Par la suite, dans les couloirs du Palais de Justice, il réitère auprès de nous ses excuses et nous demande une nouvelle fois pardon.
01.07.2014 : Audition par le Procureur vaudois du Médecin en chef de l’Armée.
- Il indique que la modification des recommandations concernant la lecture et l’interprétation des ECG, notamment l’abaissement de la mesure plafond du QTc long de 500ms à 450 ms, est entrée en vigueur le 1er mars 2011, soit à peine plus de deux semaines après le recrutement de Nils.
- Il ajoute que cette modification résultait d’un long processus et était connue des médecins des centres de recrutement bien avant le 1er mars 2011. Il précise que le Dr. X., médecin-chef du centre de recrutement de Lausanne, a participé à une séance d’information à ce sujet, le 10 novembre 2010 à Aarau, et qu’à cette occasion, un des folios exposait clairement le problème du QT.
- Il précise que les médecins recruteurs peuvent toujours avoir accès aux dossiers des conscrits, suite au recrutement.
- Il confirme qu’ils doivent se fonder sur leur propre appréciation et sur les diagnostics de l’appareil de mesure pour se déterminer sur l’aptitude au service d’une recrue, rappelant que dans le cas de notre fils, l’appareil avait diagnostiqué un allongement du QT.
01.07.2014 : Audition par le Procureur vaudois du médecin du service médico-militaire ayant établi les deux rapports à l’attention du Juge d’Instruction militaire.
- Il déclare ignorer pour quelle raison le Juge d’Instruction militaire l’a mandaté dans cette affaire, mais imagine que c’est son supérieur direct qui l’a recommandé.
- Il confirme que les médecins recruteurs ne pouvaient avoir, lors du recrutement, connaissance des recommandations du 1er mars 2011. Questionné sur la conférence à Aarau le 18 novembre 2010, il reconnaît y avoir participé lui-même, qu’elle ne portait pas spécifiquement sur la problématique du QT et que cela n’est pas suffisant pour exiger des médecins qu’ils la considèrent comme une directive.
- Concernant les rapports qu’il a établis à l’attention du Juge d’Instruction militaire, il reconnaît que, contrairement à ce qu’il a écrit, l’électrocardiographe a bel et bien signalé un QT long. A l’époque, il s’était basé sur un autre système qui ne signalait pas cette anomalie ( ?). Il n’a été avisé de son erreur qu’à fin 2013, lors d’une conversation avec son supérieur direct.
- Il précise, qu’en fait, dans ses rapports, il n’a jamais dit que les médecins, lors du recrutement, n’avaient pas eu connaissance des nouvelles directives, mais que celles-ci n’étaient pas encore disponibles. Il n’a pas parlé de la conférence d’Aarau car la question ne lui était pas posée et que pour lui, ce n’était pas important dans ce contexte.
01.05.2015 : Transmission à notre avocat par le Procureur vaudois du rapport d’expertise médicale établi le 30.04.2015 par un cardiologue genevois, spécialisé en rythmologie. Il y est mentionné :
- Il n’est pas possible de confirmer avec certitude que la cause de décès est due à un syndrome de QT long. Toutefois, en l’absence d’autres pathologies incriminées pouvant expliquer la mort subite et en présence de la mutation à l’analyse génétique, il est raisonnable de supposer que la cause de décès soit en effet un syndrome de QT long.
- L’ECG du 10 février 2011 ne peut être considéré comme normal en raison de la présence de troubles de la repolarisation, ceci concernant non seulement l’intervalle QTc prolongé, mais également les altérations de la morphologie de l’onde T. De l’avis de l’expert, la mesure automatique de l’intervalle QT par l’électrocardiographe est erronée, probablement en raison de l’onde T bifide. Il a lui-même mesuré manuellement l’intervalle QT à 420ms au lieu des 372ms de la machine.
- C’est probablement le calcul automatique de l’intervalle QTc (470ms) qui a motivé, à juste titre, le Dr. Y. à demander l’avis au Dr. X. Ce dernier a demandé d’approfondir l’anamnèse cardiovasculaire, ce qui avait déjà été fait (mention dans le dossier sanitaire d’absence de maladies cardiovasculaires familiales ou morts prématurées). Nils a donc été déclaré apte au service.
- La question est de savoir si les médecins auraient dû se fier à la mesure automatique du QTc. Selon une étude menée chez 41’767 recrues suisses, une comparaison de la mesure automatique par un appareil ECG de marque Schiller et une mesure manuelle de l’intervalle QT a été effectuée. 8’000 ECG ont été choisis au hasard et seulement 3% d’entre eux présentaient une différence entre les mesures. Néanmoins, les sociétés savantes américaines stipulent qu’une vérification manuelle de l’intervalle QT est essentielle en cas de prolongation de la valeur mesurée automatiquement. Dans le cas de Nils, la mesure de l’intervalle QT est difficile, car l’onde T est bifide et pourrait supposer la présence d’une onde U (qu’il ne faut pas inclure pour la mesure de l’intervalle QT). Il faut donc l’œil averti d’un spécialiste pour faire la différence entre une onde T bifide et une onde U. Il a été démontré que la mesure manuelle de l’intervalle QT est parfois difficile et peu reproductible, surtout si mesurée par des non-spécialistes. Les directives de l’armée concernant l’interprétation de l’ECG stipulent qu’un avis spécialisé et nécessaire en cas d’une QTc supérieur à 450ms, avec inaptitude au service dès 500ms. Ces directives datant toutefois du 1er mars 2011 (soit 3 semaines après le recrutement de Nils) et même si le diagnostic n’a pas été posé, les médecins n’ont pas violé les règles de l’art.
- La morphologie de l’onde T de Nils évoque en premier lieu un syndrome de QT long de type 2. L’analyse génétique a toutefois montré une mutation compatible avec un syndrome de QT long de type 3. Il s’agit d’une entité rare, dont les individus souffrent de mort subite, en général durant des bradycardies ou lors de leur sommeil.
- Une recommandation européenne de 2006 sur l’aptitude sportive chez les sujets atteints de troubles du rythme stipule que les individus avec un QTc situé entre 440 et 470ms ne devraient pas être engagés dans une activité sportive compétitive. Selon cette définition et en prenant compte du QTc mesuré à 470ms, Nils était à la limite supérieure de la valeur et pouvait donc être considéré comme apte au service, dans la mesure où il était asymptomatique et qu’il n’y avait pas d’anamnèse familiale de mort subite. Cependant, le QTc mesuré manuellement (par l’expert) indique un QTc plus long (au moins 480ms), ce qui l’aurait rendu inapte à une activité sportive compétitive et, par extrapolation, au service militaire.
- Il est très improbable que l’arrêt cardio-respiratoire de Nils soit dû aux efforts physiques effectués les jours précédents. Dans les syndromes du QT long 1 et 2, les arythmies surviennent pendant ou directement après l’effort ou le stress émotionnel. Dans le syndrome du QT long de type 3, les décès surviennent essentiellement au repos et durant le sommeil.
10.11.2015 : Audition, à notre demande, de l’expert médical par le Procureur vaudois, ce, malgré l’opposition de l’avocat du Dr. X. qui n’est favorable qu’à un complément d’expertise.
- L’expert déclare être Président du groupe de travail « stimulation cardiaque et électrophysiologie » de la Société suisse de cardiologie. Ce groupe de travail a été sollicité suite au décès de Nils afin de revoir les recommandations de mars 2011. Toutefois, à titre personnel, il n’a pas été impliqué, mais en a entendu parler par un collègue en charge du dossier. Il ignore si le groupe de travail a été consulté lors de l’élaboration des recommandations de 2011.
- Il estime que la probabilité d’un décès dû à un syndrome de QT long est d’environ 90%.
- Pour lui, cela saute aux yeux que l’ECG effectué lors du recrutement n’est pas normal. Pour un médecin généraliste, c’est moins évident.
- Il relève que pour tout utilisateur de la machine, le QTc était trop long. Les Dr. X. et Y. étaient en mesure de dire que quelque chose n’allait pas. La mesure a été sous-estimée. Plus que le QTc, ce qui saute aux yeux, c’est la morphologie de l’onde T.
- Il admet qu’outre une anamnèse, il aurait fallu effectuer un second ECG et que si celui-ci avait eu les mêmes valeurs que le premier, recommander un test génétique.
- Une fois le diagnostic posé, il aurait fallu éviter certains sports intenses et des médicaments qui prolongent le QT.
- A la question de savoir ce qu’il aurait fait dans un tel cas, il répond qu’il aurait rédigé un certificat médical à présenter au recrutement.
- Il considère toutefois qu’avec un QTc à 470ms, on pouvait déclarer Nils apte au service, mais qu’il aurait fallu refaire un second ECG, avec un rythme cardiaque plus bas.
- A la question de notre Conseil de savoir si déclarer Nils apte au service sans procéder à ce nouvel ECG relevait du pari, il répond par l’affirmative.
- Il confirme, qu’à priori, il est très improbable qu’il y ait un lien entre l’activité physique pratiquée au service militaire et son décès lié à un syndrome de QT long de type 3. Il estime à plus de 90% que le décès ne soit pas lié aux efforts physiques.
Malgré ces constatations et en totale contradiction avec ses déclarations, il ne revient pas sur les conclusions de son rapport mentionnant que les deux médecins n’ont pas violé les règles de l’art.
04.01.2016 : Transmission à notre avocat par le Procureur vaudois d’un avis de prochaine clôture. Le magistrat y fait part de son intention de classer l’affaire. Un délai au 25 janvier 2016 (repoussé ensuite, à notre demande, au 12 février 2016) nous est laissé pour la formulation d’éventuelles réquisitions de preuve.
12.02.2016 : Courrier de notre avocat au Procureur Général. Il y fait part des éléments objectifs du dossier qui s’opposent au classement. (Comme ceux-ci seront repris et développés par la suite, je ne vais pas m’y attarder, mis à part le point suivant). Notre Conseil relève que nous avons soumis l’expertise médicale à un Professeur vaudois, cardiologue spécialisé en rythmologie. Ce dernier confirme que l’ECG de Nils était très clairement anormal et qu’au vu des indications de l’appareil de mesure, les prévenus auraient dû le diriger vers un spécialiste pour d’autres examens. Selon lui, Nils ne pouvait être déclaré apte au service. Au-delà de la défaillance fautive des médecins recruteurs, il estime que la hiérarchie militaire est également fautive, par manque d’instructions et de mesures claires en la matière.
Au vu de ce qui précède et des nombreuses contractions entachant le rapport d’expertise et les déclarations de l’expert, nous nous opposons au classement et demandons au Procureur une contre-expertise médicale.
29.08.2016 : Transmission à notre avocat par le Procureur vaudois de l’ordonnance de classement signée de sa main et datée du même jour. Dans les grandes lignes, il y est mentionné que la réalisation de l’infraction d’homicide par négligence (art. 117 du Code pénal suisse) suppose la réunion de trois conditions, à savoir :
- le décès d’une personne
- une négligence
- un lien de causalité naturel et adéquat entre la négligence et la mort.
Si l’une de ces trois conditions fait défaut, le délit n’est pas réalisé.
La décision du Procureur de classer l’affaire est basée sur le fait que la troisième condition n’est pas réalisée, aucun lien de causalité adéquate avéré entre le service militaire et les efforts qui lui associés et une mort subite découlant d’un syndrome de QT long de type 3.
Dans cette ordonnance de classement, il est également indiqué que :
- le Dr. X. a commis une négligence en déclarant Nils apte au service suite à une erreur de diagnostic. Et bien qu’il n’existe pas de causalité adéquate avec le décès, c’est un manquement qui lui est imputable à faute qui est à l’origine de l’enquête pénale. Dans ces conditions, la moitié des frais d’enquête (CHF 3’447.25) doit être mis à sa charge.
- Aucune négligence n’étant en revanche retenue à l’encontre du Dr. Y., ce dernier ne supportera pas les frais d’enquête. Le solde des frais sera laissé à la charge de l’Etat.
- Les Dr. X. et Y. ont fait valoir une indemnité fondée sur l’art. 429 al. 1 lettre a du Code de procédure pénale (CPP), requérant respectivement des indemnités de CHF 18’659.50 et CHF 18’781.60. Le Dr. X. se voit refuser toute indemnité, alors que le Dr. Y. se voit allouer une indemnité de CHF 15’879.45.
Alors que l’affaire traîne déjà depuis des années, nous n’avons légalement que 10 jours pour faire recours.
09.09.2016 : Recours contre l’ordonnance de classement du Procureur vaudois déposé par notre avocat auprès de la Chambre des recours pénale du canton de Vaud. Les griefs suivants sont énoncés :
Nous invoquons une constatation erronée des faits, une violation du droit et un abus du pouvoir d’appréciation. S’agissant de la constatation erronée des faits, nous prions la Chambre des recours pénale de se référer à l’exposé des faits, notamment aux points suivants :
- Le Procureur a retenu que les deux médecins recruteurs avaient constaté et compris que l’ECG de Nils était anormal et que l’appareil de mesure Schiller signalait la valeur mesurée comme excessive,
- Il a retenu que le Dr. X. avait violé les règles de l’art médical et failli à la diligence requise par sa profession
– en ne procédant pas à une nouvelle ECG,
– en ne requérant pas l’avis d’un spécialiste,
– en n’informant pas Nils de leurs constatations.
- Or, dans le chapitre de son ordonnance relatif à l’examen du lien de causalité entre la négligence et le décès, le Procureur indique que le Dr. X. a déclaré Nils apte au service suite à une erreur de diagnostic. Cette affirmation est contraire à la première partie de son ordonnance, aux constatations de l’expert et aux faits clairement établis par la procédure, notamment les propres déclarations des Dr. X. et Y.
- Toujours dans le même chapitre de son ordonnance, le Procureur a procédé à une appréciation erronée des faits en retenant que selon le rapport d’expertise :
– l’arrêt cardio-respiratoire de Nils était dû à 90% au syndrome du QT long d’une part,
– tout lien de causalité entre le décès et une activité physique ou un stress psychologique était exclu.
- Or, l’expert a bien reconnu que le syndrome du QT long était la seule cause plausible de l’arrêt cardio-respiratoire. En revanche et contrairement à ce que retient le Procureur, il n’a pas complètement exclu tout lien de causalité entre le décès et la fatigue physique et du stress psychologique du service militaire.
C’est manifestement à tort que le Procureur a retenu que l’expert avait exclu tout lien de causalité entre le décès et la fatigue résultant de l’activité physique et du stress lié au service militaire. En effet, l’expert a admis que tant d’une manière générale que dans le cas d’espèce, ce rapport de causalité était possible. Il a évalué cette marge possible à 10%, étant rappelé que cette estimation ne repose sur aucune documentation médicale.
La documentation médicale produite ainsi que les recommandations de l’armée stipulent clairement que même dans les cas de QT long de type 3, les sports et les activités physiques éprouvantes doivent être évitées (inaptitude au service militaire).
Dans le cas particulier de Nils, qui s’est plaint tant de la fatigue physique que du stress subi après quelques jours de service militaire, le rapport de causalité dénié par le Procureur apparaît plus que plausible, comme l’a d’ailleurs affirmé le Professeur vaudois que nous avons consulté.
Cette constatation inexacte des faits par le Procureur a eu pour conséquence une violation du droit. Excluant tout lien de causalité, il a considéré à tort que les conditions d’un homicide par négligence n’étaient pas réalisées.
Dans ces conditions, les soupçons de la commission d’un homicide par négligence, établis sur la base de l’instruction, sont suffisants et il appartenait au Procureur de procéder, non pas au classement, mais à une mise en accusation des deux prévenus, voire de leur supérieurs hiérarchiques, en raison des carences dans l’organisation de l’examen médical.
Nous sommes particulièrement choqués de constater qu’après l’incompétence de la justice pénale militaire, la justice pénale ordinaire puisse commettre de telles erreurs dans la constatation des faits, après tant d’années d’instruction, dans une affaire d’une telle gravité.
Dans notre détermination du 12 février 2016, nous avions requis une contre-expertise médicale en raison des différentes contradictions qui entachent le rapport et les déclarations de l’expert. Le Procureur a décidé de ne pas y donner suite.
Après un réexamen complet de la procédure, nous ne sommes plus convaincus de la nécessité d’ordonner une contre-expertise, dès lors que même l’expert a admis que le lien de causalité dénié par le Procureur n’était pas exclu mais reste possible.
L’opinion exprimée par le Professeur vaudois que nous avons consulté et la documentation médicale produite confirme également que, même dans un cas de QT long de type 3, les activités physiques intenses (et donc le service militaire) doivent être évitées, ce qui revient à admettre l’existence d’un lien de causalité avec un arrêt cardio-vasculaire.
Nous concluons donc, à titre subsidiaire, à l’exécution d’une contre-expertise médicale, laissant à l’autorité de Céans, l’appréciation de son opportunité.
Le Procureur a également procédé à une appréciation arbitraire des faits et une violation du droit en considérant que le Dr. Y. n’avait commis aucune négligence, dès lors qu’il s’était contenté de se conformer aux instructions et aux appréciations du Dr. X.
Même s’il existait un rapport de hiérarchie entre ces derniers, le Dr. Y. est néanmoins un médecin à part entière, avec les droits et obligations qui en découlent.
Nous tenons à saluer la franchise et le courage du Dr. Y., qui à la différence de son collègue, a admis et reconnu ses propres manquements et qui nous a présentés ses excuses. Il n’en demeure pas moins qu’il ne doit pas pour autant échapper à l’application du droit.
Le Dr. Y. a parfaitement réalisé et compris les anomalies qui entachaient l’ECG de Nils, au même titre que le Dr. X. Sur la base des indications de l’ECG, ils ne pouvaient pas savoir à quel type de QT long ils étaient confrontés. Sauf à faire un pari – pour reprendre les termes de l’expert -, ils se devaient d’informer Nils de leur constat et de l’acheminer à procéder à des examens plus poussés, auprès d’un spécialiste et afin de clarifier le diagnostic, ainsi que l’expert a fini par l’admettre péniblement, au fil des questions.
Or, il est incontestable que si les prévenus avaient agi de la sorte, Nils n’aurait pas été déclaré apte au service. Par voie de conséquence, il n’aurait pas été placé dans les conditions de fatigue et de stress, dont il s’est largement plaint dans ses premiers jours d’école de recrues et qui l’ont conduit au décès.
Comme confirmé par l’expert et le Médecin en chef de l’Armée, ils auraient, à tout le moins, dû informer Nils de leur constat afin de l’inciter à procéder à des examens médicaux. Ils ont donc clairement failli à leur devoir d’information au patient.
21.12.2016 : Transmission à notre avocat par la Chambre des recours pénale du canton de Vaud de son arrêt du 5 décembre 2016. La décision est la suivante :
- Notre recours est rejeté.
Il y est notamment indiqué que médicalement, la probabilité qu’il existe un lien entre l’activité physique et le stress et l’arythmie cardiaque dont a été victime Nils dans la nuit du 6 juillet 2012 est inférieure à 10%.
Au vu de cet élément, il apparaît qu’indépendamment de la négligence qui pourrait être reprochée aux médecins, les mesures qui auraient pu être préconisées (nouvel électrocardiogramme, recours à un cardiologue spécialiste, information au patient et éventuelles réserves à l’aptitude de la victime au service militaire) auraient tout au plus permis de supprimer ou de limiter les efforts physiques du conscrit, mais n’auraient, selon toute vraisemblance, pas permis d’éviter directement le décès prématuré de Nils intervenu durant son sommeil.
En définitive, l’existence d’un lien de causalité entre le fait que les médecins aient jugé Nils apte au service militaire et le tragique décès du prénommé n’est pas établi, si bien qu’en cas de renvoi en jugement, la probabilité d’une condamnation des prévenus apparaît moins vraisemblable qu’un acquittement. C’est ainsi à juste titre que le Procureur a ordonné le classement de la procédure au sens de l’art. 319 CPP.
Les recourants requièrent encore que le Ministère public soit invité à ordonner la mise en prévention d’homicide par négligence du ou des supérieurs hiérarchiques des prévenus en charge de l’organisation des visites médicales au recrutement de février 2011 et/ou en charge de l’application des recommandations de l’armée pour l’interprétation des ECG. Il ne saurait être donné suite à cette réquisition, dès lors que seuls sont clairement en cause les deux médecins prévenus et personne d’autre. On relèvera que même si une négligence des supérieurs hiérarchiques pouvait être établie, une condamnation ne serait pas envisageable faute de lien de causalité.
- L’ordonnance du Procureur du 29 août 2016 est confirmée.
- Les frais de la procédure de recours (CHF 1’980.-) sont mis à notre charge.
- Un montant de CHF 2’268.- est alloué au Dr. Y. à titre d’indemnité pour la procédure de recours, à la charge de l’Etat.
- Un montant de CHF 3’294.- est alloué au Dr. X. à titre d’indemnité pour la procédure de recours, à la charge de l’Etat.
- L’arrêt est exécutoire.