TRIBUNAL FEDERAL 2

Mai 2019 – Juin 2019

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09.05.2019 :  Recours au Tribunal fédéral contre la décision de la Chambre des recours pénale du canton de Vaud du 4 mars 2019. En voici les points importants :

« … Monsieur et Madame Jordan ont l’honneur de conclure à ce qu’il plaise au Tribunal fédéral

A LA FORME

1.  Déclarer recevable le présent recours en matière pénale dirigé contre l’arrêt rendu par la Chambre des recours pénale

AU FOND 

A.  Principalement 

2. Annuler et mettre à néant l’arrêt rendu par la Chambre des recours pénale ….

3. Constater et dire que la prescription a été interrompue et que, en conséquence, l’action pénale n’est pas prescrite.

4. Renvoyer la cause au Ministère public central et lui ordonner de poursuivre l’instruction dans le sens des considérants de l’arrêt du TF N° 6B-170/2017 du 19 octobre 2017. 

5. Ordonner au Ministère public d’étendre également la prévention à l’infraction d’exposition (127 CP).

6. Débouter tout opposant de toutes autres ou contraires conclusions.

7. Condamner l’Etat de Vaud ou tout autre opposant aux frais et débours de la présente procédure de recours et de la procédure cantonale, lesquels comprendront une indemnité équitable à titre de participation aux honoraires d’avocat des recourants. 

B.  Subsidiairement, si par impossible le TF considère que l’action pénale est prescrite pour l’infraction d’homicide par négligence

8. Annuler et mettre à néant l’arrêt rendu par la Chambre des recours pénale.

9. Renvoyer la cause au Ministère public central et lui ordonner d’étendre la prévention à l’infraction d’exposition (127 CP).

10. Ordonner au Ministère public central de poursuivre l’instruction dans le sens des considérants de l’arrêt du TF N° 6B_170/2017.

11. Débouter tout opposant de toutes autres ou contraires conclusions.

12. Condamner l’Etat de Vaud ou tout autre opposant aux frais et débours de la présente procédure de recours et de la procédure cantonale, lesquels comprendront une indemnité équitable à titre de participation aux honoraires d’avocat des recourants. 

C.  Plus subsidiairement encore, si par impossible le TF confirme le classement

13. Annuler et mettre à néant l’arrêt rendu par la Chambre des recours pénale le 4 mars 2019.

14. Confirmer la condamnation des Dr. X. et Y. aux frais de la procédure.

15. Condamner les Dr. X. et Y., pris conjointement et solidairement, à verser à Monsieur et Madame Jordan la somme de CHF 51.299.27 plus intérêts à 5% dès le prononcé de la Chambre des recours pénale, à titre d’indemnité au sens de l’art 433. al. 1 let. b CPP. 

16. Débouter les Dr. X. et Y. de toutes autres contraires conclusions.

17. Débouter tout opposant de toutes autres ou contraires conclusions.

18. Condamner l’Etat de Vaud ou tout autre opposant aux frais et débours de la présente procédure de recours et de la procédure cantonale, lesquels comprendront une indemnité équitable à titre de participation aux honoraires d’avocat des recourants. 

Ou si mieux n’aime le TF, si par impossible il confirme le classement

19. Annuler et mettre à néant l’arrêt rendu par la Chambre des recours pénale le 4 mars 2019.

20. Renvoyer la cause au Ministère public central et lui ordonner :

20.1 Confirmer la condamnation des Dr. X. et Y aux frais de la procédure.

20.2. Condamner les Dr. X. et Y., pris conjointement et solidairement, à verser à Monsieur et Madame Jordan, la somme de CHF 51’299,27 plus intérêts à 5% dès le prononcé de la Chambre des recours pénale, à titre d’indemnité au sens de l’article 433 al. 1 let. b CPP.

21. Débouter les Dr. X. et Y. de toutes autres contraires conclusions.

22. Débouter tout opposant de toutes autres ou contraires conclusions.

23. Condamner l’Etat de Vaud ou tout autre opposant aux frais et débours de la présente procédure de recours et de la procédure cantonale, lesquels comprendront une indemnité équitable à titre de participation aux honoraires d’avocat des recourants. 

D. Plus subsidiairement encore, si par impossible le TF confirme le classement et la non-condamnation du Dr. Y. aux frais de la procédure

24. Annuler et mettre à néant l’arrêt rendu par la Chambre des recours pénale le 4 mars 2019.

25. Confirmer la condamnation du Dr. X aux frais de la procédure.

26. Condamner les Dr. X. à verser à Monsieur et Madame Jordan, la somme de CHF 51’299,27 plus intérêts à 5% dès le prononcé de la Chambre des recours pénale, à titre d’indemnité au sens de l’article 433 al. 1 let. b CPP.

27. Débouter le Dr. X.  de toutes autres contraires conclusions.

28. Débouter tout opposant de toutes autres ou contraires conclusions.

29. Condamner l’Etat de Vaud ou tout autre opposant aux frais et débours de la présente procédure de recours et de la procédure cantonale, lesquels comprendront une indemnité équitable à titre de participation aux honoraires d’avocat des recourants. 

Oui si mieux n’aime le TF, si par impossible il confirme le classement et la non-condamnation du Dr. Y. aux frais de la procédure

30. Annuler et mettre à néant l’arrêt rendu par la Chambre des recours pénale le 4 mars 2019. 

31. Renvoyer la cause au Ministère public central et lui ordonner de 

31.1. Confirmer la condamnation du Dr. X aux frais de la procédure. 

31.2. Condamner les Dr. X. à verser à Monsieur et Madame Jordan, la somme de CHF 51’299,27 plus intérêts à 5% dès le prononcé de la Chambre des recours pénale, à titre d’indemnité au sens de l’article 433 al. 1 let. b CPP. 

32. Débouter le Dr. X.  de toutes autres contraires conclusions.

33. Débouter tout opposant de toutes autres ou contraires conclusions.

34. Condamner l’Etat de Vaud ou tout autre opposant aux frais et débours de la présente procédure de recours et de la procédure cantonale, lesquels comprendront une indemnité équitable à titre de participation aux honoraires d’avocat des recourants.

VI. EN DROIT 

VI.1. Violation des articles 319 al. 1 CPP et 97 al. 3 CP

105. Dans son arrêt du 4 mars 2019, la Chambre des recours pénale a retenu que l’ordonnance de classement du 29 août 2016 n’avait pas interrompu la prescription et elle considère que l’action pénale était par conséquent prescrite. 

106. La Chambre des recours pénale fonde sa décision sur les ATF 139 IV 62, 6B_614/2015 et ATF 144 IV 81. 

107. Pour les raisons évoquées ci-après, les recourants s’opposent à l’interprétation de la Chambre des recours pénale et concluent à ce que le TF constate que la prescription n’est pas atteinte en l’espèce. 

108. En effet, sur la base des développements qui suivent, les recourants requièrent du TF qu’il précise sa jurisprudence relative à l’interruption de la prescription et $à l’ordonnance de classement (notamment les arrêts N° 6B-614/2015 et ATF 142 IV 11).

109. Les recourants rappellent que bine qu’ils l’aient invoquée aussi bien devant le Ministère public central que devant la Chambre des recours pénale, leur interprétation de la jurisprudence du TF à ce sujet n’a manifestement fait l’objet d’aucun examen sérieux par ces instances.

VI.1.1. Délai de prescription applicable à l’infraction d’homicide par négligence et dies a quo

110. Les recourants ne contestent pas qu’en vertu du principe de la lex mitior découlant de l’art. 2. al. 2 CP et concrétisé en matière de prescription par l’article 389 al. 1 CP, le délai de prescription de l’art. 87 al. 1 let. c aCP de sept ans – en vigueur au moment des faits – s’appliquent à l’infraction d’homicide par négligence reprochée aux prévenus. 

111. Les faits remontant au 10 février 2011, le délai de prescription a commencé à courir à cette date en application de l’art. 98 let. a CP. 

VI.1.2. Interruption du délai de prescription 

112. A teneur de l’art. 97 al. 3 CP, la prescription ne court plus si, avant son échéance, un jugement de première instance a été rendu. 

113. Depuis l’ATF 139 IV 62 du 11 décembre 2012, le TF considère que, par jugement de première instance au sens de cette disposition, il faut comprendre non seulement les prononcés de condamnation, mais également les décisions d’acquittement. 

114. A teneur de l’art 320 al. 4 CPP, une ordonnance de classement entrée en force équivaut à un acquittement. 

115. Dans un arrêt non publié 6B_614/2015 du 14 mars 2016, le TF a conclu que l’autorité cantonale de recours n’avait pas violé le droit fédéral en considérant que l’ordonnance de classement n’avait pas interrompu la prescription (Arrêt N° 6B_614/2015, cons. 2.3). 

116. Il est toutefois essentiel de relever que dans cet arrêt, le TF a examiné cette question sous l’angle de la réouverture du dossier au sens de l’art. 323 CPP. 

117. En outre, à l’appui de cette conclusion, le TF indique uniquement qu’il est douteux que le Ministère public puisse être considéré, en matière de classement et de non-entrée en matière, comme une autorité de première instance au sens de l’art. 97 al. 3 CP, tel n’étant d’ailleurs pas le cas s’agissant de l’ordonnance pénale frappée d’opposition (Arrêt N° 6B_614/2015, cons. 2.3). 

118. Sur ce dernier point, le TF fait référence à son arrêt du 15 janvier 2016, publié aux ATF 142 IV 11, cons. 1.2.2 (JdT 2016 IV 339). 

119. Or, l’examen de ce dernier arrêt et du raisonnement du TF devrait conduire au contraire à admettre que l’ordonnance de classement interrompt la prescription.

120. dans ledit arrêt, le TF traite de la question de savoir si une ordonnance frappée d’opposition peut être considérée comme un « jugement de première instance » au sens de l’art. 97 al. 3 CP, question à laquelle il répond par la négative (ATF 142 IV 11, cons. 1.2.2, confirmé dans les arrêts 6B-207/2017 du 11 septembre 2017, 8B_786/2017 du 12 mars 2018 et 6B_1304/2017 du 25 juin 2018). 

121. Le raisonnement du Tribunal fédéral est le suivant :

1) On assimile à un « jugement de première instance » l’ordonnance pénale qui n’a pas fait l’objet d’une opposition, ce qui découle de l’art. 354 al. 3 CPP et du Message du Conseil fédéral du 21 septembre 1998.

2.1. L’opposition ne constitue pas une voie de recours, mais une voie de droit. Si elle est formée, l’ordonnance pénale tombe (ATF 142 IV 11, cons. 1.2.2)

En cas d’opposition devant le Ministère public (art. 354 CPP), si l’ordonnance pénale est finalement maintenue, le dossier va être transmis au Tribunal de première instance en vue des débats (art. 356 CPP).  En d’autres termes, en cas d’opposition, l’ordonnance pénale n’est plus une décision de première instance, mais elle devient l’acte d’accusation soumis au Tribunal de première instance qui va ainsi, lui seul, rendre un jugement de première instance, se prononçant sur les faits, le droit, la culpabilité, la fixation de la peine et les frais. 

2.2. Le prononcé d’une ordonnance pénale est exclu lorsque les conditions de l’art. 352 CPP ne sont pas remplies, soit lorsque la peine à prononcer excède une peine privative de liberté de six mois. En d’autres termes, une ordonnance pénale ne peut pas être prononcée pour des infractions graves. 

Il en découle que si l’on admettait, dans les procédure pénales qui satisfont aux conditions de l’art. 352 CP, qu’une ordonnance pénale puisse déjà interrompre la prescription, cela conduirait à ce que la prescription intervienne plus tôt pour les infractions les moins graves que pour les plus graves (ATF 142 IV 11, cons. 1.2.2).

122. C’est donc sur la base de ce double critère de (1) l’absence de voie de recours et (2) la limitation de l’ordonnance pénale à des infractions de « peu de gravité », que le TF a dénié la qualité de « jugement de première instance » à l’ordonnance pénale frappée d’opposition.

 123. Or, aucun des ces deux critères ne s’applique à l’ordonnance de classement contre laquelle un recours au sens de l’art. 393 al. 1 let. a CPP a été déposé.

1) Le recours de l’art. 393 CPP est bine une voie de recours, laquelle octroie un plein pouvoir d’examen à l’autorité de recours qui statue sur le bien-fondé de l’ordonnance de classement, pour l’annuler ou la confirmer, et non sur la cause en qualité d’autorité de première instance.

2) Les art. 319 ss CPP ne limitent pas la possibilité de prononcer une ordonnance de classement à certaines catégories d’infractions, contrairement à l’ordonnance pénale. En d’autre termes, reconnaître qu’une ordonnance de classement puisse interrompre la prescription ne conduit pas à traiter différemment les infractions plus graves ou moins graves s’agissant de l’interruption du délai.

124. Le raisonnement du TF relatif aux ordonnances pénales devrait ainsi conduire à admettre qu’une ordonnance de classement équivaut à un jugement de première instance, qu’elle fasse ou non l’objet d’un recours, contrairement à ce qu’il a conclu dans son arrêt non publié 6B-614/2015. 

125. En effet, au même titre qu’un jugement rendu par le Tribunal de première instance interrompt la prescription qu’il fasse ou non l’objet d’un appel, tel est également le cas de l’ordonnance de classement. 

126. Une telle interprétation est conforme au but de l’art. 97 al. 3 CP – tel que rappelé par le TF dans son arrêt ATF 139 IV 62 du 11 décembre 2012 – qui doit « empêcher que la personne qui serait acquittée à tort en première instance ne puisse tirer avantage de la prescription lors d’une procédure de recours » (ATF 139 IV 62, in JdT 2014 OV 44, cons. 1.5.6, 1.5.8 et 1.5.9).

 127. Or, on ne voit pas pour quelle raison une personne qui bénéficierait à tort d’un classement devrait être traitée différemment de la personne acquittée à tort.

128. Cela est d’autant plus vrai que les arguments à teneur desquels le TF considère que le jugement d’acquittement doit être assimilé à un jugement au sens de l’art. 97. al. 3 CP s’appliquent mutatis mutandis au classement (ATF 139 IV 62, in JdT 2014 IV 44, cons. 1.5.6, 1.5.7, 1.5.8 et 1.5.9). :

  • Comme en cas d’acquittement, le prévenu bénéficiant d’un classement entré en force est protégé par le principe « ne bis in idem« , seule la révision de l’art. 410 CPP et la réouverture de la procédure de l’art. 323 CPP – ces procédures étant toutes deux soumises à la survenance des faits nouveaux – étant réservées  (ATF 139 IV 62, cons. 1.5.7). 
  • Les principes limitant la révision d’un jugement d’acquittement en défaveur du prévenu au sens de l’art 410 ss CPP (Arrêt N° 6B_92/2014, cons. 2.2; ATF 139 IV 62, cons. 1.5.8) s’appliquent également à la réouverture du dossier au sens de l’art. 323 CPP en défaveur du prévenu qui a bénéficié d’un classement (Arrêt N° 6B_614/2015, cons. 2.2.1 et 2.2.2). Dans ce cas, la prescription court dès le jour de l’acte incriminé, dès lors qu’il résulte de l’art. 410 al. 3 CPP a contrario qu’une telle révision ne peut être demandée que si la prescription de l’action pénale n’est pas intervenue. La prescription ne cesse donc pas de courir pour une révision en défaveur du prévenu, nonobstant une décision d’acquittement (ATF 139 IV 62, cons. 1.5.8; arrêt N° 6B_92/2014, cons. 2.2).

129. En d’autres termes, au vu des arguments développés par le TF dans les différentes décisions examinées, rien ne saurait justifier qu’un prévenu ayant bénéficié d’une décision de classement soit traité différemment, et surtout plus favorablement, qu’un prévenu ayant bénéficié d’un jugement d’acquittement

130. Sur cette base, les recourants requièrent du TF qu’il précise et modifie sa jurisprudence et admette que l’ordonnance de classement rendue par le Ministère public interrompt la prescription au même titre qu’un jugement d’acquittement

131. Au vu des développements qui précèdent, force est d’admettre que l’ordonnance de classement rendue par le Ministère public le 29 août 2016 a interrompu la prescription laquelle a cessé de courir à compter de cette date. 

132. L’arrêt de la Chambre des recours pénale devra donc être annulé sur ce point.

133. En toute hypothèse, indépendamment de cette question, la Chambre des recours pénale a refusé à tort l’application de l’art. 27 CP. Elle aurait dû ordonner au Ministère public qu’il complète la mise en prévention des prévenus sur la base de l’art. 127 CP. 

 

VI.2  Violation de l’art. 127 CP

134. Dans l’arrêt querellé, la Chambre des recours pénale a rejeté la requête d’extension de la prévention à l’infraction d’exposition de l’art. 127 CP.

135. La Cour des la Chambre pénale prétend qu’étendre la prévention l’exposition ne se justifierait pas au motif que, à l’exception de la qualité de garants des prévenus, tant les éléments objectifs que subjectifs ne sont pas réalisés. 

136. Les recourants démontreront ci-après que la position de la Chambre pénale n’est pas soutenable et concluent donc à l’annulation de l’arrêt de la Cour sur ce point également. 

VI. 2.1  Remarques préalables

137. Avant toute chose, il convient de rappeler que le concours idéal entre l’art. 127 CP et l’homicide par négligence (Petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 18 ad art. 127 CP et N° 38 ad art. 117 CP; B. Corboz, Les infractions en droit suisse, vo. 1, 3ème édition, 2010, N° 19 ad art 127 CP).

138. En conséquence, rien ne permet d’exclure à priori une prévention complémentaire pour infraction à l’art. 127 CP pour autant que les conditions soient réalisées. 

VI.2.2 Les éléments constitutifs de l’infraction d’exposition sont manifestement réalisées. 

139. Les recourants reprendront ci-après les différents éléments constitutifs de l’art. 127 CP et démontreront qu’ils sont à priori réalisés en l’espèce, y compris les conditions de l’exposition à un danger de mort et de l’intention, contrairement à ce qu’a retenu la Chambre des recours pénale le 4 mars 2019.

VI.2.2.1.   Eléments constitutifs objectifs

i) La position de garant des prévenus

140. L’auteur doit en tous les cas se trouver en position de garant face à la victime (Petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 3 ad. art 127 CP et les références citées).

ii) La victime hors d’état de se protéger

141. Un tel état peut notamment résulter de la méconnaissance d’un danger difficile à déceler (petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 6 ad art. 127 CP et les références citées)

iii) L’exposition ou l’abandon de la victime

142. Sur ce point, il convient tout d’abord de préciser que l’art. 127 CP comporte deux variantes. Cette infraction peut être de commission ou d’omission proprement dite (Petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 7 ad art. 127 CP).

143. « La première hypothèse se rapporte à un comportement actif et incrimine le fait d’exposer la victime à une danger concret alors que l’auteur est censé le protégé » (Petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 8 ad art 127 CP).

144. « La seconde hypothèse vise quant à elle un comportement passif qui consiste à abandonner la victime alors qu’elle se trouve aux prises avec une situation de danger. que l’auteur n’a pas créé lui-même » (Petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 9 ad art. 127 CP). 

145. Une exposition sous la forme d’une commission par omission est donc parfaitement concevable, lorsque l’auteur crée un danger pour la victime en omettant d’agir comme son devoir de garant le lui impose (Petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 3 ad art. 127 CP; Corboz I N° 12 ad art 127 CP; Hurtado Pozo, PS par 20 N° 631). 

146. En outre, toute omission des mesures de protection commandées par les circonstances réalise le comportement typique, y compris lorsque l’auteur ne reste pas totalement passif, mais omet néanmoins de fournir toute aide que l’on pouvait exiger de sa part (Petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 11 ad art. 127 CP).

iv) Le danger de mort/le danger grave et imminent pour la santé

147. Pour que l’infraction soit consommée, le comportement typique doit créer un danger de mort ou un danger grave et imminent pour la santé. Le danger de mort concret ne doit pas nécessairement être imminent (Petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 11 ad. art. 127CP).

148. Le danger concret est un état de fait dans lequel existe, d’après le cours ordinaire des choses, la probabilité ou un certain degré de possibilité que, dans le cas d’espèce, le bine juridique protégé soit lésé, sans toutefois qu’un degré de probabilité supérieur à 50% ne soit exigé (Petit commentaire du CP, 2ème édition, 2017, N° 10 ad. art. 127 CP).  

v) Le lien de causalité

149. Il s’agit alors d’établir un lien de causalité hypothétique. Une omission constitue la cause d’un résultat donné si l’on parvient à établir, avec un degré de vraisemblance confinant à la certitude que l’accomplissement de ce que l’auteur a omis d’exécuter contrairement aux devoirs qui lui incombaient, aurait permis d’éviter la survenance du résultat (ATF 133 IV 158 cons. 6.1). 

vi) En l’espèce

150. En l’espèce, la qualité de garant du Dr. X. a été expressément retenue par la Chambre des recours pénale (« en sa qualité de médecin chef, consulté par un subordonné dans un cas particulier, ce médecin avait manifestement une position de garant » arrêt du 5 décembre 2016) et la question de la qualité de garant du Dr. Y. a été réservée par le TF qui a envoyé le dossier à l’autorité cantonale sur ce point (ATF N° &B_170/2017, cons. 3.3.2, p. 14). 

151. Le TF a relevé dans son arrêt du 19 octobre 2017 que « l’information médicale fait partie des obligations professionnelles générale du thérapeute, peu importe que celui-ci agisse en vertu d’un contrat de droit privé, en qualité de fonctionnaire ou d’employé d’Etat.

152. Cette condition a en outre été admise dans l’arrêt querellé. 

153. En revanche, la Chambre des recours pénale a retenu que les autres conditions objectives et subjectives de l’art. 127 CP n’étaient pas réalisées. 

154. La Chambre des recours pénale a retenu que :

« On ne saurait sérieusement soutenir que les prévenus auraient abandonné une victime impuissante face à un danger de mort. On ne se trouve manifestement pas dans le cas d’une personne qui, dans une situation concrète, n’était pas elle-même en mesure de se protéger contre un danger de mort« . 

155. A ce sujet, la Chambre des recours pénale a retenu qu' »en l’espèce, le risque de décès lié au syndrome de QT long 3 a été décelé dans l’analyse génétique effectuée après le décès de Nils Jordan n’était pas un danger de mort lié à une situation concrète. Il s’agissait d’un risque présent à n’importe quel moment – antérieur ou postérieur aux faits reprochés aux prévenus – dans la vie de Nils Jordan (étant rappelé que les décès liés à ce syndrome surviennent essentiellement au repos et durant le sommeil) et non d’un danger de mort lié à une situation concrète dans laquelle les prévenus auraient abandonné Nils Jordan« . 

156. Ce raisonnement ne résiste pas à l’analyse du cas d’espèce. 

157. En effet, à défaut d’avoir été informé de la pathologie cardiaque dont il souffrait et des conséquences que celle-ci pouvait entraîner, Nils Jordan était hors d’état de se protéger puisqu’il ignorait (1) qu’il souffrait d’un grave problème de coeur (2) qu’il lui faudrait prendre des mesures pour protéger sa santé et sa vie. 

158. Le TF l’a expressément admis dans son arrêt du 19 octobre 2017 : « Dans l’ignorance e son état, la victime s’est trouvée par conséquent dans l’impossibilité de prendre les mesures nécessaires notamment pour confirmer le diagnostic envisagé et, le cas échéant pour diminuer les risques pouvant en découler« . 

159. En outre, comme le TF l’a relevé dans son arrêt du 19 octobre 2017, « on s’étonne d’autant plus de l’absence d’information que les médecins en cause, s’ils avaient identifié un QT long, ignoraient en revanche de quel type il s’agissait. Tant qu’un diagnostic définitif n’est pas établi mais qu’une suspicion de syndrome grave existe, le principe de prudence paraît imposer de prendre toutes les mesures possibles, la première étant d’informer le patient, en particulier si des précautions – par exemple en cas d’activités physiques qui sortiraient du cadre habituel des sports peut-être pratiqués – doivent être suivies« . 

160. Contrairement à ce que soutient la Chambre des recours pénale, les prévenus ont abandonné Nils Jordan dans une situation concrète de danger de mort, puisqu’ils l’ont laissé dans l’ignorance de sa grave pathologie cardiaque. 

161. Il ne fait dès lors aucun doute qu’en omettant de l’informer de la maladie dont il souffrait et en le déclarant apte au service, les prévenus ont abandonné Nils Jordan à un danger de mort. 

162. En effet, si elles ne sont pas soignées dans le cadre d’un suivi médical spécialisé, les personnes souffrant de syndrome de QT long risquent de décéder des suites de leur pathologie, le danger auquel les prévenus ont exposé Nils Jordan étant par conséquent un danger de mort concret.

163. A ce sujet, le fait que le danger existait antérieurement et postérieurement aux faits reprochés aux prévenus importe peu : les auteurs de l’infraction n’ont pas besoin de créer le danger, il suffit qu’ils abandonnent la victime dans la situation de danger. 

164. Le danger de mort s’est effectivement réalisé en l’espèce, puisque quelques jours à peine après avoir commencé son école de recrues, Nils Jordan est décédé des suites de son syndrome de QT long. 

165. Enfin, la question du lien de causalité entre la décision de déclarer Nils Jordan apte au service, d’une part, et son tragique décès, d’autre part, a été réservée par le TF qui a renvoyé le dossier à l’autorité cantonale sur ce point. 

166. Les éléments constitutifs objectifs de l’exposition sont donc a priori réalisés. 

167. En conséquence, la décision de la Chambre des recours pénale ne saurait être suivie sur ce point. 

VI. 2.2.2.  L’élément constitutif subjectif : l’intention

168. Le dol éventuel suffit, étant rappelé que le dol éventuel suppose que l’auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l’accepte pour le cas où il se produirait (Arrêt N° &S.287/2005, cons. 2.2). Lorsque le résultat avait une probabilité évidente et très élevée de se produire, on doit retenir le dol éventuel (M. Kilias, A. Kuhn, N. Dongois, Précis de droit pénal général, 4ème édition, 2016, N° 323). 

169. Dans son arrêt, la Chambre des recours pénale soutient que les prévenus n’ont en aucun cas « imaginé que leur comportement reviendrait à abandonner Nils Jordan à un danger de mort et à accepter un probable décès comme le résultat de leur comportement« . 

170. Une fois de plus, cette analyse est insoutenable au regard des éléments du cas d’espèce. 

171. La Chambre des recours pénale retient que « les prévenus peuvent uniquement se voir reprocher une négligence pour s’être contentés, après avoir constaté que le QTc était prolongé selon le calcul automatique par l’appareil ECG, de creuser l’anamnèse pour des éléments pouvant indiquer une maladie rythmique sous-jacente, sans procéder à des investigations cardiologiques ultérieures« . 

172, Ce faisant, la Chambre des recours pénale omet de prendre en considération un élément essentiel : les prévenus n’ont pas simplement omis de « procéder à des investigations cardiologiques ultérieures« , mais au contraire, ils ont omis d’informer Nils Jordan de sa pathologie, violant gravement leur devoir d’information, obligation fondamentale du médecin. 

173. Dans ces circonstances, l’existence d’une intention par dol éventuel ne saurait être exclue et doit être examinée, dès lors que les prévenus, bien que connaissant en leur qualité de médecins les conséquences possibles d’un syndrome de QT long et les risques liés aux activités pratiquées dans le cadre de l’école de recrues, ont néanmoins décider de ne pas informer Nils Jordan de sa pathologie, d’une part, et de le déclarer apte au service, d’autre part. 

174. En effet, les deux médecins ont tous deux constaté la double anomalie révélée par l’électrocardiogramme de Nils Jordan, soit l’allongement du segment ST et le syndrome du QT long, ce dernier ayant en outre été expressément signalé par la machine utilisée pour l’ECG.

175. Ils ont en parlé entre eux et ont néanmoins laissé Nils Jordan partir sans l’envoyer chez un spécialiste pour des examens complémentaires et, pire encore, sans même l’informer de l’existence de sa pathologie. 

176. Interrogé à ce sujet, le Dr. Y. a expressément admis que dans sa pratique comme médecin au civil – soit en-dehors de tout rapport hiérarchique – il aurait immédiatement appelé un cardiologue pour lui exposer les valeurs du ST et QTc long de Nils Jordan et aurait envoyé ce dernier chez ce spécialiste pour déterminer s’il y avait un risque cardiaque. 

177. En outre, le Dr Y. a également confirmé que c’est conformément aux instructions de son supérieur hiérarchique, le Dr. X., qu’il n’a ni ajourné le recrutement ni informé Nils Jordan de l’existence de sa pathologie, contrairement à ce qu’il aurait fait dans sa pratique médicale. 

178. Enfin, les activités imposées par l’école de recrues sont très exigeantes sur le plan physique et ne sont pas à la portée de tous. Il est donc indispensable d’être en excellente forme physique et la santé cardiaque est primordiale. Imposer des activités physiques de cette exigence à des recrues souffrant de défaillances cardiaques peut s’avérer fatal. Les Dr. X. et Y. le savaient parfaitement. 

179. Cela est d’autant plus grave que les prévenus ignoraient eux-mêmes à ce stade de quel type de syndrome de QT long souffrait Nils Jordan. 

180. Dès lors, le dol éventuel est de toute évidence réalisé. 

181. En effet, il est inconcevable que des médecins qui ont détecté une anomalie cardiaque chez un patient n’aient pas envisagé – et a fortiori accepté – le risque qu’ils faisaient courir à ce patient en ne l’informant pas de sa pathologie et en le déclarant de surcroît apte au service militaire. 

182. L’arrêt querellé devra donc être annulé sur ce point. 

IV.2.3.  Conclusion

183. Compte tenu de la peine maximale de l’art. 127 CP, le délai de prescription, prévu à l’art. 97 al. 1 let. b CP – déjà en vigueur au moment des faits – est de 15 ans. 

184. S’agissant d’une infraction d’exposition au sens de l’art. 127 CP, la prescription arrive donc à échéance le 10 février 2026.

185. Dès lors que l’ensemble des conditions de l’art. 127 CP sont réalisées et que cette infraction n’est à ce jour pas encore prescrite, cette disposition doit s’appliquer dans le cas d’espèce. Il y a donc lieu d’étendre la prévention à l’infraction d’exposition. 

186. En conséquence, l’arrêt querellé devra être annulé sur ce point. 

 

VI.3.  Violation de l’art. 426 al. 2 CPP

187. La Chambre des recours pénale a admis le recours du Dr. Y. : elle a retenu que les conditions de l’art. 426 al. 2 CPP n’étaient pas réalisées et que les frais ne pouvaient pas être mis à la charge du Dr. Y., avec pour conséquence que celui-ci ne pouvait se voir imposer le versement d’une indemnité en faveur des recourants en application de l’art. 433 CPP.

188. Dans sa décision, la Chambre des recours pénale a rappelé que, contrairement à ce que soutenait le Dr. Y. dans son recours, « le TF a clairement considéré que le recourant avait violé son devoir d’information en omettant d’informer Nils Jordan – qui ignorait alors tout de cette problématique – des résultats de son ECG et du diagnostic pouvant en découler« . 

189. Néanmoins, sous prétexte que, en raison de la prescription, le Ministère public n’aurait pas « procédé aux mesures d’instruction qui auraient permis de déterminer si une information de Nils Jordan par le recourant, respectivement une consultation subséquente que ladite information aurait induite et/ou des moyens thérapeutiques, auraient pu éviter l’arrêt cardio-vasculaire« , la Chambre des recours pénale a retenu que, dans ces circonstances, il n’était pas possible dire que le Dr. Y. « aurait, par un comportement civilement fautif et illicite dans le sens d’une application par analogie des principes découlant de l’art. 41 CO, provoqué l’ouverture de la procédure pénale contre lui pour homicide par négligence » et qu’il ne pouvait donc pas être condamné aux frais en application de l’art. 426 al. 2 CPP.

190. Comme les recourants le démontreront, ce faisant la Chambre des recours pénale a violé l’art. 426 al. 2 CPP.

VI.3.1.  Principes applicables

191. Selon l’art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l’objet d’une ordonnance de classement, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à la charge du prévenu s’il a, de manière illicite et fautive, provoqué l’ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

192. Une condamnation aux frais n’est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l’ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s’il en a entravé le cours. A ce égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les faits imputés, entre en ligne de compte. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l’imputation des faits, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou on écrite résultant de l’ordre juridique suisse pris dans son ensemble. 

193. Concrètement, le comportement du prévenu est illicite lorsqu’il viole manifestement une violation juridique directe ou indirecte d’agir ou qu’il omet d’agir (violation d’une norme de comportement). 

194.Il doit en outre se trouver dans une relation de causalité adéquate avec l’ouverture de l’enquête. 

195. La relation de causalité est réalisée lorsque, selon le cours ordinaire des choses et de l’expérience de la vie, le comportement de la personne concernée était de nature à provoquer l’ouverture de la procédure pénale et le dommage ou les frais que celle-ci a entraînés. 

196. Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l’autorité était légitimement en droit d’ouvrir une enquête. 

VI. 3.2.  En l’espèce

197. En application de l’art. 426 al. 2 CPP et des principes qui s’appliquent à cette disposition, l’astreinte des prévenus au paiement des frais de la procédure se justifie pleinement en l’espèce.

198. S’agissant du Dr. X., la Cour cantonale et le TF ont retenu sa position de garant et la violation du devoir de prudence. 

199. En toute hypothèse, le Dr. X. n’a pas recouru contre sa condamnation au paiement des frais de procédure et au versement d’une indemnité en faveur des parties plaignantes (les recourants).

200. S’agissant du Dr. Y., contrairement à ce que celui-ci prétend dans son recours, le TF a admis sa position de garant et la violation de son devoir de prudence en annulant la décision de classement et en renvoyant le dossier à l’autorité cantonale (ATF N° 6B_170/2017, cons. 3.2.2, p. 14).

201. Bien plus, le TF a expressément admis la violation du devoir de prudence par le défaut d’information de la victime (« cette violation des devoirs de prudence – par le défaut de toute information« , ATF N° 6B_170/2017, cons. 3.2.2, p. 13 in fine), rappelant que : 

« L’information médicale fait partie des obligations professionnelles générales du thérapeute, peu importe que celui-ci agisse en vertu d’un contrat de droit privé, en qualité de fonctionnaire ou d’employé d’Etat« . 

« Si on ne peut exiger des mesures supplémentaires en lien avec l’ECG soient prises dans le cadre militaire où lesdits résultats étaient alors conformes aux normes permettant de déclarer une recrue apte au service, on peut en revanche attendre d’un médecin ayant analysé les résultats qu’il en informe l’intéressé (Devaud, op. cit. section 3 sur le diagnostic, p. 147) et, le cas échéant, lui conseille une consultation chez un spécialiste » (ATF N° 6B_170/217, cons. 3.2.2, p. 13). 

« Dans l’ignorance de son état, la victime s’est trouvée par conséquent dans l’impossibilité de prendre les mesures nécessaires, notamment pour faire confirmer le diagnostic envisagé et, le cas échéant, pour diminuer les risques pouvant en découler » (ATF N° 6B_170/217, cons. 3.2.2, p. 13). 

202. C’est donc à juste titre que le Ministère public a retenu « une violation des devoirs de la prudence de la part du Dr. Y.« .

203. La Chambre des recours pénale a d’ailleurs expressément admis ce point, puisqu’elle a rappelé que, contrairement à ce que soutenait le Dr. Y, « le TF a clairement considéré que le recourant avait violé son devoir d’information en omettant d’informer Nils Jordan – qui ignorait alors tout de cette problématique – des résultats de son ECG et du diagnostic pouvant en découler« . 

204. Toutefois, la Chambre des recours pénale conclut que, la procédure n’ayant pas déterminé à ce stade (en raison du classement) si l’information de Nils Jordan aurait permis d’éviter son décès, on peut dire si le Dr. Y. « aurait, par un comportement civilement fautif et illicite dans le sens d’une application par analogie des principes découlant de l’art. 41 CO, provoqué l’ouverture de la procédure pénale contre lui pour homicide par négligence« . 

205. Cette conclusion est insoutenable. 

206. En effet, savoir si le complément d’enquête aurait finalement établi que la violation du devoir de prudence par le défaut d’information de la victime était la cause directe de son décès relève de l’issue de la procédure pénale et non des causes de son ouverture. 

207. Ainsi, la question du lien de causalité est sans incidence sur celle de la violation, fautive du devoir d’information des deux médecins.

208. Or, c’est bien en raison de la violation du devoir de prudence des prévenus – la position du Dr. Y ne différant pas sur ce point de celle du Dr. X. – qu’une information a été ouverte contre eux suite au décès de Nils Jordan. 

209. Dans ces circonstances, force est d’admettre qu’en violant le devoir de prudence que lui imposait sa position de garant, le Dr. Y. a effectivement eu un comportement illicite. 

210. En outre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le comportement des prévenus, et en l’espèce plus particulièrement celui du Dr. Y., était de nature à provoquer l’ouverture de la procédure pénale, ainsi que le dommage et les frais que celle-ci a entraînés. 

211. Enfin, le classement de la procédure prononcé par le Ministère public se fonde exclusivement sur la prescription de l’action pénale, au demeurant contestée par les recourants. 

212. Les recourants relèvent encore que dans sa première ordonnance de classement du 19 août 2016 – dans le raisonnement relatif à la position de garant, à la violation du devoir de prudence et la causalité a été annulé par le TF qui a renvoyé la cause à l’autorité cantonale – le Ministère public avait déjà condamné le Dr. X. à la moitié des frais de procédure. 

213. Vu l’arrêt du TF du 19 octobre 2017, l’astreinte des deux prévenus au paiement de la totalité des frais de la procédure – et par conséquent le Dr. Y. à supporter la moitié de ces frais – se justifie pleinement en application de l’art. 426 al. 2 CPP.

214. L’arrêt querellé devra donc être annulé sur ce point. 

VI. 4.  Violation de l’art 433 al. 1 CPP

215. En toute hypothèse, si par impossible le TF devait confirmer l’arrêt querellé en raison de la prescription, il devrait l’annuler concernant l’indemnisation des parties plaignantes au sens de l’art. 433 al. 1 CPP.

216. S’agissant de l’indemnisation des parties plaignantes en application de l’art. 433 CPP, la Chambre des recours pénale a confirmé l’ordonnance de Ministère public en arrêtant ex aequo et bono le montant de l’indemnité à CHF 32’000.-, sur la base de « l‘indemnité de l’art. 429 CPP la plus élevée requise par la défense« . 

217. Cette façon de fixer l’indemnité de la partie plaignante est insoutenable au regard du principe applicables et des circonstances du cas d’espèce, et viole par conséquent l’art. 433 al. 1 CPP.

VI.4.1  Principes applicables

218. A teneur de l’art. 433. al. 1 let b CPP, la partie plaignante peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure lorsque le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l’art. 426 al. 2 CPP. 

219. Les principes généraux du droit de la responsabilité civile trouvent matière à s’appliquer à l’indemnisation de la partie plaignante.

220. En application de ces règles, il incombe au lésé d’apporter la preuve du dommage et de son ampleur, ainsi que du lien de causalité naturelle et adéquate selon le degré de la haute vraisemblance entre les dépenses dont l’indemnisation est demandée et la procédure pénale. Fait également partie de ces principes le devoir de diminution du dommage.

221. La notion de juste indemnité – La juste indemnité ne doit pas être confondue avec les conclusions civiles; elle ne porte que sur les dépenses et les frais exposés en relation avec la procédure pénale, appelés parfois dépens. 

222. Les dépenses obligatoires causées par la procédure pénale – Les frais liés à la défense de la partie plaignante doivent être indemnisés. Cela implique avant tout d’indemniser ses frais d’avocat. 

223. L’appréciation de la notion de dépenses obligatoires, en particulier quant aux frais d’avocat, ne doit pas être trop stricte. 

224. Le principe du remboursement de l’intégralité des honoraires d’avocat doit prévaloir. 

225. De même, les frais d’avocat avant procédure, soit les frais engagés par la victime pour la consultation d’un avocat avant l’ouverture du procès pénal – lorsque cette démarche était nécessaire, adéquate et en rapport direct avec l’infraction – peuvent constituer un élément du dommage indemnisable par le biais de l’art. 433 CPP, puisque la décision sur les dépens liquide en principe les prétentions des parties sans laisser la porte ouverte à une action civile ultérieure. 

226. Les honoraires ne peuvent être forfaitisés

227. Les autres frais de défense sont également couverts (débours, expertise, etc.)

228. Le montant alloué produit des intérêts à partir du moment où la décision dans laquelle il a été fixé est entrée en force. 

VI.4.2  En l’espèce

VI. 4.2.1. Remarques liminaires

229. En l’espèce, les recourants ont fait valoir leurs prétentions en indemnisation pour une requête en indemnisation déposée le 9 mai 2018, pour un montant de CHF 95’415.-. 

230. Ce montant comprenait toute l’activité déployée dans le cadre de la présente procédure pénale, au tarif de CHF 400.- pour un avocat collaborateur et CHF 500.- pour un avocat associé, conformément aux tarifs pratiqués au Barreau de Genève, ainsi que les frais et débours. 

231. Dans sa décision, le Ministère public a fixé le montant de l’indemnisation des recourants forfaitairement à CHF 32’000.- en se basant sur la requête d’indemnisation du Dr. Y. « Au vu de la requête d’indemnisation présentée, le montant ne peut être fixé qu’en statuant ex aequo et bono. L’indemnité de l’art. 429 CPP la plus élevée requise par la défense est de quelque CHF 32’000.-, il se justifie de prendre ce montant comme référence pour le total de l’indemnité de l’art. 433 CPP ». 

232. Tenant compte des remarques du Ministère public, les recourants ont réduit leur prétentions dans le cadre de leur recours du 8 février 2019, concluant à l’octroi d’un montant total de CHF 51’299.27. 

233. Pour le détail à ce sujet, et afin d’éviter d’allonger inutilement les présentes, les recourants prient respectueusement le TF de bien vouloir se rapport aux pages 26 à 29 de son mémoire de recours du 8 février 2019. 

234. En application des principes applicables à l’indemnisation selon l’art. 433 CPP – soit en particulier de l’indemnisation et de l’interdiction de la forfaitisation des honoraires d’avocat -, l’intervention du Conseil soussigné, relative à la procédure pénale dirigée contre les Dr. X. et Y., s’élevait au jour du dépôt de la requête en indemnisation à un total de CHF 51’299,27, qui se décompose comme suit :

  1. CHF 2’496,50 pour la période du 1er janvier au 5 novembre 2013 (à compter de la préparation de la plainte pénale dès le 11 octobre 2013).
  2. CHF 10’174,50 pour la période du 6 novembre 2013 au 30 novembre 2014.
  3. CHF 11’371,50 pour la période du 1er décembre 2014 au 30 septembre 2016.
  4. CHF 4’340,70 pour la période du 1er octobre 2016 au 15 février 2017.
  5. CHF 21’916.07 pour la période du 16 février 2017 au 8 mai 2018.

VI.4.2.2  Critique de l’arrêt de la Chambre des recours pénale 

235. Dans l’arrêt querellé, la Chambre des recours pénale a rejeté les conclusions des recourants et confirmé le montant de CHF 32’000.- pour leur indemnisation au sens de l’art. 433 CPP, prétendant que « l’appréciation du procureur échappe à la critique ». 

236. Comme les recourants le démontreront ci-après, les arguments de la Chambre des recours pénale sont insoutenables et cette décision viole l’art. 433 al. 1 CPP. 

i) 

237. En premier lieu, la Chambre des recours pénale prétend que « le dossier démontre la mauvaise foi des recourants sur le calcul de l’indemnité à laquelle ils pourraient prétendre « . 

238. Cette affirmation est inacceptable. 

239. Dans le cadre de leur requête d’indemnisation, les recourants ont tout simplement fait valoir la totalité de leurs frais d’avocat.

240. On ne saurait leur reprocher d’avoir fait preuve de mauvaise foi, dès lors qu’ils se sont limités à requérir le remboursement des frais réels engendrés par la procédure. 

241. Le fait qu’en application de certains principes et restrictions, l’autorité de jugement réduise le montant admis au titre des frais d’avocat ne signifie pas pour autant que les frais réclamés ne correspondent pas aux frais réellement supportés.

242. C’est justement parce qu’ils sont de bonne foi que les recourants ont néanmoins pris en considération les critiques infondées formulées par le Ministère public dans son ordonnance de classement et réduit leurs prétentions en conséquence. 

243.  Il n’en demeure pas moins que les frais réels d’avocat des recourants depuis le début de cette procédure s’élèvent effectivement à CHF 95’415.- comme en attestent les pièces produites.

ii)

244. En second lieu, la Chambre des recours pénale prétend que le montant réduit à CHF 51’299,27 serait « encore largement excessif« . 

245. A ce sujet, la Chambre des recours pénale  ajoute que « cette constatation est d’autant plus évidente lorsqu’on compare la prétention des recourants avec celles réclamées par chacun des prévenus dans la même procédure, sur des bases comparables« .

246. Or, la Chambre des recours pénale ne tien pas compte du fait que, contrairement aux prévenus, les recourants ont dû continuellement se battre, pour remettre en cause les conclusions de l’expert (notamment au cours d’audiences conséquentes longuement préparées), pour faire annuler la première décision de classement et sa confirmation en deuxième instance cantonale, et maintenant pour tenter d’obtenir que cette procédure aboutisse enfin à une décision sur le fond.

247. Comme le démontre d’ailleurs l’arrêt rendu par le TF le 19 octobre 2017, c’est à juste titre que les recourants ont persévéré jusqu’à ce jour dans leurs efforts judiciaires. 

248. En outre, dans sa remarque sur le nombre d’heures effectuées au titre de « recherches juridiques », la Chambre des recours pénale ne tient aucun compte du fait que les recourants tentent également de conduire à une modification de la jurisprudence du TF concernant la question de l’interruption de la prescription et de l’ordonnance de classement. 

249. Dans ces circonstances – et alors que les recourants ont eux-même réduit drastiquement leur prétentions dans les souci de répondre à toutes les conditions et à tous les principes applicables en la matière –  réduire leur indemnisation à une somme arrêtée forfaitairement ex aequo et bono et par comparaison aux frais d’avocat des prévenus, viole grossièrement l’art. 433 CPP. 

250. En vertu des principes applicables à l’indemnisation selon l’art. 433 CPP – soit en particulier de l’indemnisation intégrale et de l’interdiction de la forfaitisation des honoraires d’avocat – l’arrêt querellé doit être annulé et l’indemnisation des recourants fixée à CHF 51’299,27. 

VI.4.3 Décision arbitraire s’agissant du versement de l’indemnité de l’art. 433 CPP par le prévenu condamné aux frais selon l’art. 426 al. 2 CPP – violation de l’art. 433 al. 1 let. b CPP

251. En toute hypothèse, si par impossible, le TF devait confirmer l’arrêt querellé concernant la non-condamnation du Dr. Y. sur la base de l’art. 426 al. 2 CPP, il devrait modifier le point III de l’ordonnance de classement du Ministère public du  28 janvier 2019 et ordonner que le Dr. X. soit condamner à verser aux recourants la totalité de l’indemnité admise au titre de l’art. 433 CPP, quel qu’en soit le montant. 

252. En effet, dans l’arrêt querellé, la Chambre des recours pénale a confirmé le montant de CHF 32’000.- retenu par le Ministère public au titre d’indemnité en faveur des recourants au sens de l’art. 433 CPP.

253. Toutefois, en annulant le chiffre IV du dispositif de l’ordonnance de classement du 28 janvier 2019 sans modifier le chiffre III de ce dispositif (qui condamne le Dr. X. à verser aux recourants la somme de CHF 16’000 à titre d’indemnité au sens de l’art. 433 al. 1 CPP), la Chambre des recours pénale réduit de facto de moitié le montant de l’indemnité dont pourront bénéficier les recourants. 

254. Or, les recourants rappellent que, aussi bien dans leur requête en indemnisation du 9 mai 2018 que dans leur recours du 28 janvier 2019, ils ont conclu à ce que les Dr X. et Y. soient condamnés, conjointement et solidairement, à leur verser une indemnité au sens de l’art. 433. al. 1 CPP

25. Il serait arbitraire et totalement insoutenable  que les recourants voient leur indemnité réduite de moitié au motif que seul un des deux prévenus est condamné aux frais. 

256. En effet, à teneur de l’art. 433 al. 1 let. b CPP, la partie plaignante peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure lorsque le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l’art. 426 al. 2 CPP. 

257. Or, cette disposition n’exige pas une condamnation du prévenu à la totalité des frais de la procédure. 

258. En effet « dans le cas visé à l’art. 433 al. 1 let. b CPP, lorsque le prévenu, bien que libéré des fins de la poursuite pénale, est astreint au paiement de tout ou partie des frais, conformément à l’art. 426 al. 2 CPP, il peut être tenu de payer les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure à la partie plaignante « (petit commentaire du CPP, 2ème édition, Bâle 2016, N° 7 ad. art. 433 CPP). 

259. En conséquence, en toute hypothèse, l’arrêt querellé devra être annulé sur ce point, en ce sens que, si le Dr. Y. est dispensé de verser une indemnité aux recourants, le montant total de l’indemnité admis devra leur être versé par le Dr. X. 

12.06.2019 : Arrêt (6B_565/2019) de la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral. Par dépit et dégoût, je ne peux retranscrire cette décision qui balaye notre recours sur tous les points et nous enlève les ultimes espoirs de justice

Je vous laisse donc le soin de cliquer sur 

https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2Faza://12-06-2019-6B_565-2019&lang=fr&zoom=&type=show_document

 

*   *   *   *   *   *   *   *   *   *   *   *  

Selon moi, il appartenait à la justice suisse et uniquement à la justice suisse, de rendre justice à un soldat suisse victime d’un homicide. Nous n’allons donc pas porter cette affaire devant la justice internationale.